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Marie-Pierre RAMOS
7 août 2008

L’été libertaire d’Albert Camus

Jean-Pierre Barou écrivain et éditeur.

Ces paroles de Catherine Camus, sa fille, sur un sourire mélancolique : "Il a fallu attendre vingt-huit ans pour que cette exposition sur Camus et les libertaires ait lieu." Albert_20Camus

On refoulait son attachement viscéral aux anarchistes - espagnols, iraniens, algériens, argentins… -, aux syndicalistes révolutionnaires - le syndicat des ouvriers correcteurs du Livre -, aux objecteurs de conscience pour qui il va jusqu’à formuler un statut à l’intention du général de Gaulle.

Cet été, faites un bond jusqu’à Lourmarin, le village du Vaucluse où Albert Camus acheta une maison en 1958, après son prix Nobel. Il y est de retour, avec sa fratrie.

"La liberté n’est pas un cadeau qu’on reçoit d’un Etat ou d’un chef, mais un bien que l’on conquiert tous les jours, par l’effort de chacun et l’union de tous (1)."  C’est son discours, à la Bourse du travail de Saint-Étienne, en mai 1953, devant deux cents syndicalistes. Sur la photo, il est debout derrière les autres orateurs, fidèle à son horizon libertaire. "Je refuse énergiquement d’être considéré comme un guide de la classe ouvrière."

La petite exposition, à la bibliothèque de Lourmarin, frappe plus fort que le soleil de Provence. Son discours de Saint-Etienne est là, reproduit dans le numéro 9 de la Révolution prolétarienne, un journal grand et gris, comme un jour sans pain. Il collabore à tous les organes anarchistes : le Libertaire, le Monde libertaire, Liberté, Témoins, Défense de l’homme, Contre-courant. Attiré comme le fer par l’aimant. Il prend la défense des anars poursuivis pour menées antimilitaristes pendant la guerre d’Indochine, en 1945.

A l’étranger, la presse de ses frères rebelles le salue. En Italie, Volontà ; en Espagne, Solidaridad Obrera ; en Suède, Arbetaren ; en Allemagne, Die freie Gesellschaft ; au Brésil, Reconstruir. Une revue libertaire de Buenos Aires recueille son "dernier message". A la question : "Les entrevues "au sommet" entre les mandataires des Etats-Unis et l’Union soviétique vous font-elles concevoir quelque espérance quant à la possibilité de surmonter la "guerre froide" et la division du monde en deux blocs antagonistes ?" Albert Camus répond, le 29 décembre 1959, à six jours de sa mort : "Non. Le pouvoir rend fou celui qui le détient."

Des lettres longues et néanmoins concises : Nicolas Lazarevitch, un anarcho-syndicaliste russe réfugié en France, et sa compagne Ida Mett, tout comme lui des opposants au bolchevisme, au totalitarisme, lui fournissent des informations pour la rédaction de sa pièce, les Justes et son essai, l’Homme révolté, à la source de sa rupture avec Jean-Paul Sartre et la gauche, en 1952.

Mais, en 1958, l’année où il s’installe à Lourmarin, il accroche au mur de son séjour une peinture sur tissu montrant une tara verte, aux membres délicats, la mère de tous les bouddhas ; il soulage la révolte de ses ombres nihilistes - il réprouve les excès anarchistes, en Espagne, par exemple. C’est alors qu’il rédige - il n’en dit rien dans ses Carnets - à la demande de Louis Lecoin, le grand pacifiste, ce projet de statut de l’objecteur de conscience : "La non-violence, écrit-il, qu’on prétend si souvent tourner en dérision, s’est révélée en maints cas très efficace, alors que la résistance armée a manqué le plus souvent son but. L’importance du mouvement de Gandhi, à cet égard, n’est plus à dire.» Déjà, en 1953, dans l’Express, Camus l’avait décrit comme «le plus grand homme de notre temps".

On comprend mieux pourquoi la gauche n’a jamais aimé Camus : trop proche des insoumis. La droite, elle, a espéré le récupérer - mais l’antitotalitarisme de l’écrivain, qui l’a mené à Bakounine, le père de l’anarchie, a débouché, comme nous le rappelle activement l’exposition de Lourmarin, sur la non-violence, jamais sur des interventions armées, fussent-elles disculpées par le droit d’ingérence. "Tuer les hommes ne sert à rien que tuer encore." L’entrée est libre, naturellement (2).

(1) En octobre 2008, paraîtra Albert Camus et les libertaires aux éditions de l’Egrégore, regroupant l’ensemble des écrits libertaires de Camus - pour 40% inédits en volume - sous la direction et avec une présentation de Lou Marin (pseudonyme d’un libertaire allemand).

(2) Andrée Fosty, présidente des Rencontres méditerranéennes Albert-Camus, a organisé l’exposition "le Don de la liberté : Camus et les libertaires", jusqu’au 24 août.

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