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Marie-Pierre RAMOS
5 août 2008

Ecole: "le Grand Bond en arrière"

"Exit la poésie, vive la récitation. Exit l’expression écrite, vive la rédaction. Exit l’éducation civique et citoyenne, vive l’instruction morale et civique". Jean-Yves Vlahovic, enseignant en Loire Atlantique, fait le point sur les réformes attendues à la rentrée. Suppressions de postes, fin de la carte scolaire, allègement des programmes. Revue de détail, et précisions sur les mobilisations en cours.
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Jean-Yves Vlahovic. "11200 suppressions de poste à la rentrée 2008, 13000 en 2009, voilà ce qui attend les élèves et leurs parents dans l’Education Nationale pour les deux prochaines années scolaires. Le ministère a même avancé le chiffre de 80000 à l’horizon 2012, prétextant une baisse des effectifs dans le secondaire. Ce qui se met en place n’est ni plus ni moins que le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. L’objectif de ce gouvernement étant de rester dans les "clous européens" (dette publique inférieure à 3% du PIB). Et ce n’est pas tout ! Depuis plusieurs années, et surtout depuis plusieurs mois, l’école subit un certain nombre d’attaques en règle, particulièrement l’école maternelle et élémentaire (le socle du système éducatif).

- Haro sur la méthode globale d’apprentissage de la lecture, qu’aucun enseignant digne de ce nom n’a jamais appliqué à 100%, privilégiant d’abord une approche basée sur le sens de l’écrit puis sur l’analyse progressive de la combinatoire des mots et du texte. C’était l’époque de Robien et de la glorification du b-a-ba !

- Suppression progressive de la carte scolaire, donc des écoles –ghettos pour les moins débrouillards.

- Suppression pure et simple du samedi matin, sans concertation aucune avec les enseignants et les parents sur les conséquences : on passe donc de 26h à 24h hebdomadaires pour les élèves, soit 72h d’enseignement en moins sur l’année, avec un volume de programmes qui reste lourd.

- Le traitement de l’échec scolaire, estimé à 15% des enfants arrivant au collège. Aucune analyse sérieuse des causes sociales n’a été faite par les Inspections académiques. Au lieu de cela, on va stigmatiser encore les élèves les plus en difficulté, en leur infligeant 2h supplémentaires par semaine et des stages de rattrapage pendant les vacances. Non pas que les instits et profs d’école veuillent eux aussi passer à 24 h hebdo. Nous revendiquons même de continuer à faire 27h de présence dans l’école (dans les faits, c’est bien plus, et aucun enseignant ne s’en plaint). Mais ce que nous voulons, c’est que les enfants ayant besoin de soutien puissent continuer à en bénéficier sur le temps imparti à tous, et non hors temps scolaire, et soient pris en charge par les personnels spécialisés (psychologues, rééducateurs, maîtres de soutien) des réseaux d’aide (RASED) qui, hélas, voient leurs effectifs fondre comme neige au soleil. On parle même de leur disparition en 2012.

- Les fameux nouveaux programmes : ceux mis en application à partir de 2002 l’ont été après deux années d’études et de concertation étroite avec les chercheurs, les pédagogues, les personnels et les usagers de l’Education. Il y a eu un consensus entre le ministère, les syndicats enseignants, les fédérations de parents d’élèves et même entre les partis politiques de gauche comme de droite, puisque les contenus avaient été élaborés sous Jack Lang, ministre de l’Education d’alors et mis en œuvre par Luc Ferry, qui lui a succédé et qui faisait partie du Conseil Consultatif des programmes scolaires avant 2002. D’ailleurs, depuis que l’école républicaine, laïque, gratuite et obligatoire existe, les ministres concernés ont toujours eu la sagesse de faire un bilan des programmes précédents avant d’en établir de nouveaux, de mettre tout le monde autour de la table, d’écouter, de prendre du temps, et essayé d’obtenir l’assentiment le plus large possible entre les professionnels et les usagers de ce service public d’Education.

Foin de toutes ces considérations ! D’après certains syndicalistes, il se murmure dans les couloirs du
ministère de la rue de Grenelle, qu’il faut abattre le «pédagogisme». Si l’école ne doit pas être le domaine de la pédagogie, où donc a-t-elle sa place ? Or là , patatras ! Darcos a renversé la table sans crier gare ! Et s’est mis à dos la plupart des chercheurs en Sciences de l’Education (Philippe Meyrieu et bien d’autres), des mouvements pédagogiques, des syndicats enseignants, de la FCPE,même Lang et Fillon se sont fendus d’un texte commun pour dire halte-là, cela suffit ! Car ce qu’il nous a servi valait son pesant de bonnets d’âne ! Il faut dire que ses maîtres à penser en matière de pédagogie (Jean-Paul Brighelli, auteur de /"La fabrique du crétin"/ et Marc Le Bris, auteur de /"Et vos enfants ne sauront pas lire…ni compter", /entre autres) n’y sont pas allés avec le dos de la cuiller :

- "Retour" au par cœur automatique ; à noter que le par cœur n’a jamais disparu des écoles (tables, règles diverses), mais sans être pour autant systématisé,

- "Retour" aux fondamentaux (français et maths), ceux-ci n’ayant jamais été abandonnés soit dit au passage, mais cela se fera au détriment de l’ouverture sur le monde, de toute la culture humaniste (histoire, géographie, sciences expérimentales), de la pratique artistique (musique et arts visuels) et informatique. Eh oui, il fallait bien trancher dans les contenus avec 72h en moins.

- "Retour" à des valeurs qui se veulent rassurantes pour les nostalgiques de la communale d’antan :
Exit la poésie, vive la récitation
Exit l’expression écrite, vive la rédaction
Exit l’éducation civique et citoyenne, vive l’instruction morale et civique.

Les mots sont lourds de sens. Ceux-là fleurent bon les blouses grises et les coups de baguette sur les doigts.

Le plus étrange, c’est que personne n’a signé ces nouveaux programmes, ni Darcos, ni Brighelli, ni Le Bris, ni d’autres d’ailleurs. Auraient-ils peur de leur prétendue audace ? Depuis la fin du XIXème siècle, chaque ministre initiateur de nouvelles instructions les signait logiquement de sa plume. Mais là, personne ! Quel courage !

Les avancées des chercheurs en pédagogie, les acquis de Piaget, de l’ICEM (mouvement Freinet), de l’école Montessori, du GFEN, des CEMEA, des Francas,… ont été jetés aux orties.
Il leur fallait absolument détruire les innovations dans l’Education depuis 1968, année honnie par l’Omniprésident et les tenants de la droite qui y sont tous allés de leurs vieilles lunes réactionnaires. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un sacré bond en arrière ; la philosophie rétrograde de ces contenus nous plongent au début du XXe siècle (les instructions de 1923, par exemple).

Quant à l’école maternelle, les objectifs qui lui sont assignés manquent singulièrement d’ambition : allègement des programmes, petite et moyenne sections y sont à peine abordées, apprentissage trop précoce de mécanismes en grande section, qui risque de devenir un pré-CP. L’"apprendre à vivre ensemble" y est délaissé au profit de "l’apprendre à être élève". Là aussi, l’instruction prend le pas sur l’éducation.

La mise en place envisagée d’EPEP (Etablissements Publics d’Ecoles Primaires) font craindre des regroupements d’écoles, donc encore des suppressions de poste, des conseils d’administration aux mains d’élus locaux laissent augurer la disparition de l’autonomie pédagogique et la baisse le la représentation des parents d’élèves (de 1 par classe aujourd’hui au conseil d’école à 1 pour 10 classes dans ces CA).

Enfin, la formation des maîtres est elle aussi remise en cause. Certes, celle-ci est loin d’être la panacée actuellement et il y a parfois un gouffre entre ce qui est enseigné dans les IUFM et la réalité quotidienne d’une classe et d’une école. Mais elle est toujours perfectible. Or, ce qui se profile pour 2010, c’est le passage de bac+3 à bac+5 pour espérer devenir prof d’école ou du secondaire. Belle économie réalisée en prétextant une élévation du niveau de formation. Car les étudiants reçus à l’IUFM y touchent un salaire, ce qui ne sera plus le cas ensuite. La formation sera déléguée (et délayée) aux universités, et un « compagnonnage" tiendra lieu de formation sur le tas. Au risque de voir débarquer dans les écoles des étudiants très pointus dans leur domaine mais complètement démunis sur le plan de la pédagogie, de la didactique et de la psychologie enfantine.

Face à toutes ces attaques et dérives contre l’école publique, des voix se sont élevées un peu partout en France, mais sans doute pas en nombre suffisant et pas assez relayées médiatiquement pour faire reculer le ministre et ses conseillers, qui n’ont cédé qu’à la marge sur quelques points insignifiants, après une pseudo concertation sur les nouveaux programmes.

En Loire-Atlantique, un mouvement de résistance citoyenne important (incluant parents d’élèves, enseignants, élus locaux) a pris corps depuis la fin mars : nombreuses AG de secteurs et départementales, refus de remplir les grilles d’analyse des nouveaux programmes et les avenants aux projets d’école incluant les 2h de soutien hors temps scolaire, de mettre en place les cours de rattrapage pendant les vacances, rassemblements devant l’Inspection Académique et son occupation (l’un de nos collègues a d’ailleurs été inculpé pour violence sur agent de la force publique, suite à l’évacuation musclée du bâtiment par les gardes mobiles à la demande de l’Inspecteur, le 11 juin), chaîne humaine, blocage de la raffinerie de Donges, manifestations dans les rue de Nantes (3000 personnes à la première, 15000 à la seconde, 2500 à la troisième). Une intersyndicale et une coordination citoyenne départementale se sont mises en place pour lutter et se donner les moyens de mener des actions contre ce train de réformes anachroniques et rétrogrades. A la rentrée, nous nous rappellerons au bon souvenir de Darcos, de l’Inspecteur et du Recteur d’Académie en menant une action spectaculaire lors des Rendez-vous de l’Erdre, une manifestation musicale ayant lieu les 30 et 31 août dans les rues de Nantes le long de cet affluent de la Loire, et nous tiendrons une AG de rentrée le 3 septembre, pour décider ensemble de la suite du mouvement et des actions à mener. Car nous voulons fermement poursuivre la résistance à cette entreprise de démolition de l’école publique et espérons être rejoints par d’autres départements pour faire front à cette politique imposée qui va vers le pire."

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