François Hollande sur la réforme des institutions
Des propositions ont été faites
par le Parti socialiste tout au long de ces derniers mois. Nous arrivons au
moment ultime – la discussion n’est d’ailleurs pas terminée au Sénat – et j’ai
cru lire qu’il y avait eu des initiatives du Président de la République. Nous
avons à nous prononcer.
L’initiative du Président de la
République arrive dans un moment qui n’est pas le bon. Quand il y a une
réforme, on met tout sur la table et l’on fait en sorte d’obtenir les avancées
qui sont souhaitées par les uns et par les autres, notamment sur les questions
de mode de scrutin, de représentation de l’opposition, voire du pluralisme
audiovisuel.
Cette démarche prise à la fin du
processus, sans d’ailleurs qu’il y ait véritablement novation, pose un problème
qui, en même temps, révèle ce qu’est la conception de Nicolas Sarkozy de nos
institutions. Il prétend renforcer les droits du Parlement et c’est lui,
Président de la République, qui donne – comme s’il était président de
l’Assemblée nationale, président du Sénat – les règles du jeu, sans nous dire
quelles seront les traductions juridiques concrètes. De la même manière, il
condescend à permettre à l’opposition d’avoir un droit de réponse, mais
uniquement lorsqu’il intervient sur les sujets qu’il considère politiques,
c’est-à-dire uniquement les grandes émissions. Et – nous a-t-on précisé par la
voix de son porte-parole, au cas où nous aurions mal compris – quand il fait
des déplacements en province et qu’il rencontre à cette occasion des
représentants de l’UMP, son temps de parole pourrait peut-être être décompté.
Mais, lorsqu’il intervient – comme c’est le cas depuis maintenant un an
quasiment à chaque journal télévisé – sur ses déplacements, ses interventions, ses
initiatives, son temps de parole resterait sans réponse.
Il nous apparaissait donc
nécessaire, sur la démarche comme sur le contenu, de faire un certain nombre de
mises au point, d’éclaircissements, pour permettre de comprendre ce qu’est la
position aujourd’hui du Parti socialiste sur la révision de la Constitution.
On pourrait croire que le débat
est clos, mais il ne l’est pas. Et d’ailleurs, si le Président de la République
voulait que, sur la réforme du mode de scrutin du Sénat, par exemple, ou sur le
pluralisme dans l’audiovisuel, des avancées soient faites, il en est encore
temps.
Et, en lâchant telle ou telle
proposition alors même que le débat n’est pas clos au Sénat, Nicolas Sarkozy
révèle finalement le contenu même de la réforme qu’il veut pour nos
institutions : c’est la dérive présidentialiste qui se trouve, là,
vérifiée. Car, dans la lecture que l’on peut faire de son entretien avec le
journal Le monde, Nicolas Sarkozy s’exprime comme s’il était à la fois non
seulement le Chef de l’Etat, mais aussi le Premier ministre, le Garde des
Sceaux. Il s’exprime aussi comme s’il était le Président de l’Assemblée
nationale dictant le règlement, comme le Président du Sénat et, pour faire bon
poids, le Président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, puisqu’il nous dit
qu’il lui a écrit et qu’il ne doute pas de la réponse… Curieuse conception de
nos institutions où c’est le Président de la République qui pose les questions,
fait les réponses, organise les travaux de l’Assemblée. C’est vrai qu’en ce qui
concerne le conseil supérieur de l’audiovisuel une réforme s’impose :
c’est sa suppression pure et simple car, s’il se résume à réceptionner des
lettres que le Président de la République ne peut pas lui-même s’envoyer !
Rien que la méthode souligne ce
qu’est la réforme qui nous est proposée. Il est vrai que nous aurions pu avoir
un consensus sur le renforcement des pouvoirs du Parlement. Sans doute,
aurions-nous considéré qu’il n’y en avait pas encore assez, mais s’il s’était
agi simplement de faire avancer les droits du Parlement, une majorité très
large aurait été trouvée.
Mais des avancées en matière de
droits pour le Parlement sont pour l’essentiel virtuelles (maîtrise de l’ordre
du jour : c’est la majorité qui l’aura ; pouvoir de domination :
c’est un droit de veto concédé impossible à mettre en œuvre ; article
49.3 : rien n’aura changé).
On nous demande de nous rendre
compte de l’importance de la réforme ! C’est maintenant sur le texte de la
Commission que le débat va s’engager ! C’était avant sur le texte du
gouvernement… Quelle révolution démocratique !
En revanche, ce qui n’est pas
virtuel, c’est la possibilité qui est maintenant donnée au Président de la
République de s’exprimer devant le Parlement réunit en Congrès à Versailles.
Cette réforme n’avait qu’un seul objectif : celui-là. Le reste n’est que
mesure d’accompagnement. Il fallait pour Nicolas Sarkozy, déjà présent sur tous
les écrans autant qu’il le veut, aller devant les députés et les sénateurs, de
peur que –dans sa majorité- il y en est qui aient des doutes.
Je ne sais pas si cette réforme
permettra de sortir de « l’esprit de clan », mais ce que je sais
c’est que Nicolas Sarkozy a écrit cette réforme avec la lettre de son camp.
Car, en définitive, c’est son camp, c’est lui-même qui auront posé les limites
de la réforme de nos institutions. Rien n’aura changé pour le Sénat. Rien
n’aura changé sur la domination de la majorité à l’Assemblée. Rien n’aura
changé sur les règles du pluralisme dans l’audiovisuel – ce sera même pire.
Rien n’aura changé quant aux
menaces qui pèsent sur l’indépendance de la Justice – il y aura d’ailleurs une
minorité de magistrats au Conseil supérieur de la Magistrature. Rien n’aura
changé quant aux droits des citoyens, sauf la saisine possible du Conseil
constitutionnel, mais sa composition reste inchangée.
Maintenant que le Conseil
constitutionnel va être l’instance suprême, savoir que c’est le même mode de
nomination qui va demeurer, c’est-à-dire en définitive par un contrôle total de
la droite, constitue un vrai problème. Y compris pour les autorités
juridictionnelles de notre pays.
Toutes ces raisons – que ce soit
la méthode ou le contenu de la réforme : je crains même que, dans les
heures qui viennent, les propositions faites par Nicolas Sarkozy dans Le monde
d’aujourd’hui ne soient pas traduites au Sénat ce soir – nous conduisent à
prendre nos responsabilités face à cette proposition de réforme de nos
institutions. Nous aurions pu nous retrouver avec d’autres pour faire avancer
le droit du Parlement. Nous serons dans une opposition responsable.
Nous considérons que ce texte n’est pas bon et qu’il faut donc le repousser. Mais nous voulons croire qu’une réforme, demain, sera possible. Elle nous incombe et il faudra, lorsque la gauche reviendra aux responsabilités, nous y atteler en prenant les rares acquis de ce texte, en en corrigeant bien des défauts, en donnant au Parlement les moyens d’agir, de contrôler et en révisant les prérogatives d’un Président de la République qui ne peut pas être le seul en démocratie à décider de tout, sauf de lui-même.