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Marie-Pierre RAMOS
19 août 2008

Menace sur les artistes amateurs, par Nicole Vulser

Faut-il mieux délimiter les frontières entre les pratiques amateurs et professionnelles ? Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, élabore un avant-projet de loi visant à encadrer la participation des artistes non professionnels aux spectacles vivants et aux manifestations à but lucratif (Le Monde daté 10-11 août). Son intention est de créer un cadre juridique précis. Il s'agit d'en finir avec certains abus relevant de pratiques illégales, comme le travail dissimulé, et de mettre un terme à l'insécurité juridique liée aux interprétations divergentes des directions départementales du travail. Aujourd'hui, un choeur d'enfants peut être autorisé à se produire dans une ville, et pas le lendemain dans une autre.

Le projet de loi en préparation vise aussi à protéger les artistes professionnels - souvent intermittents du spectacle - contre une concurrence qu'ils jugent parfois abusive de la part des amateurs. Or cette plainte est loin d'être fondée.

Ce texte élaboré par le gouvernement, et dont le calendrier parlementaire n'est pas arrêté, fait l'objet de négociations pour en définir les exceptions. Les scènes de musique actuelles qui doivent faire une large place aux pratiques amateurs, ne seraient pas concernées. La question de la rémunération systématique des enfants dans les spectacles n'est pas non plus tranchée.

La Rue de Valois veut soumettre les amateurs au code du travail. Ils ne pourraient donc se produire sur scène qu'à condition d'avoir un contrat de travail et une fiche de paye. Une telle obligation pourrait avoir des effets désastreux, en asphyxiant un type de culture très populaire et en déstabilisant bon nombre d'associations, qui vivent tranquillement, sans demander 1 centime à l'Etat. Tenter de mettre à plat les pratiques amateurs revient à toucher à une des sacro-saintes exceptions culturelles françaises.

Dans le passé, les pouvoirs publics ont aussi tenté, sans grand succès, d'établir une zone de droit social dans un domaine où il n'est guère présent, celui des courts métrages. Personne ou presque n'est rémunéré, mais ces films, réalisés sur la base du bénévolat, permettent, chaque année, de faire éclore une pépinière de jeunes talents, dont l'ambition est de devenir professionnels. Le court métrage, même avec tous ses défauts, fait office de formation bis pour les jeunes de cette filière. Essayer de le faire rentrer dans le rang et de mettre fin au travail non déclaré, dans ce tout petit secteur, restera une entreprise pour le moins difficile.

Encore en discussion, le projet de loi sur les pratiques amateurs suscite des inquiétudes nombreuses et légitimes. Les artistes amateurs bretons - on en compte 40 000 - ont été les premiers à monter au créneau pour dire tout le mal qu'ils pensaient de cette idée. Comment des associations formées sur la base de la loi 1901 pourraient-elles payer chacun des musiciens des ensembles celtiques qui se produiraient dans un festival ?

Les cent trente bagadoù (ensembles musicaux) répertoriés en Bretagne sont, à une exception près (celui de la marine nationale), constitués d'amateurs. Personne n'est payé. Les musiciens, souvent jeunes, puisqu'ils se produisent dès l'âge de 10 ans. Mais le problème n'est pas simple : on peut se demander pourquoi ils seraient les seuls artistes non payés dans un festival. Et si les organisateurs n'avaient pas tendance à les choisir, précisément, parce qu'ils ne coûtent rien ?

"TOUT NE S'ACHÈTE PAS"

La musique, mais aussi le théâtre fonctionnent avec des milliers d'amateurs. Le Théâtre du peuple de Bussang (Vosges) en est une des meilleures illustrations. Son directeur, Pierre Guillois, maintient vivante l'utopie d'un art populaire, en proposant chaque année, sur scène, le même dosage de comédiens : deux tiers d'amateurs et un tiers de professionnels. "Il y a quelques décennies, rappelle ce metteur en scène, il n'y avait que du théâtre amateur. Le théâtre d'art est issu des militants."

M. Guillois se dit "atterré par ce projet". "C'est d'ailleurs un vieux truc, qui ressort périodiquement, observe-t-il. Mais tout ne s'achète pas. Il existe encore des gens qui font du théâtre pour leur plaisir. Déjà, c'est un art trop encadré ; les amateurs nous apportent précisément du désir, une énergie, une nouveauté dont nous avons besoin. Je redoute une incidence esthétique sur la création si tout le monde est payé."

Musique, théâtre, mais aussi spectacles historiques ou son et lumière sont dans le collimateur. Ces reconstitutions s'apparentent à des animations et se situent à la limite entre culture et divertissement, mais n'existent néanmoins que grâce aux bénévoles.

Pour Bernard Humbert, président de la Fédération française des fêtes et spectacles historiques, qui regroupent quatre-vingt-deux associations et 26 000 bénévoles, "cette loi oublie que ces fêtes, à forte dimension sociale, sont organisées pour défendre le patrimoine local, un château, des vieilles pierres, et contribuent à l'aménagement du patrimoine". S'il faut payer les amateurs, dit-il, "soit les mairies, et donc les contribuables, devront prendre le relais, soit ces manifestations s'arrêteront".

Selon M. Humbert, 1,4 million de spectateurs ont assisté, en 2008, à ces quatre-vingt-deux spectacles, qui ont d'ailleurs fourni du travail aux intermittents, à hauteur de 400 000 euros. Le plus connu d'entre tous, le spectacle du Puy-du-Fou, en Vendée, fait appel à la fois à des salariés et à des bénévoles, dont mille deux cents acteurs amateurs, qui montent sur scène vingt-huit soirs au cours de l'été et attirent, chaque année, 1,3 million de spectateurs.

Tenter d'encadrer les pratiques amateurs se conçoit, à condition de ne pas rayer de la carte des pans entiers d'une culture populaire. S'il veut assainir le secteur de l'emploi culturel, le ministère aurait sans doute intérêt à lutter de façon plus efficace contre le recours abusif au statut d'intermittent du spectacle.

Les chaînes de télévision privées ou publiques, comme les radios, utilisent ce système avantageux d'assurance-chômage pour éviter d'embaucher et de rémunérer à temps plein des milliers de collaborateurs, pourtant employés à l'année. Un abus qui, contrairement aux pratiques amateurs, creuse le déficit de l'Unedic en faisant supporter par l'assurance-chômage les périodes de moindre activité. C'est un sujet économique plus épineux qui, en 2004, il est vrai, avait coûté sa place de ministre de la culture à Jean-Jacques Aillagon.

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